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Stéréotype sur la santé des femmes, question de sociologie, et de psychologie sociale

Il y a quelques années, j'ai eu a prendre en charge, dans un service d'urgence, un femme
d'environ 60 ans qui se plaignait de douleurs abdominales, de symptômes gastriques et de grande
fatigue. Alors que mon tuteur me demandait de la raccompagner en salle d'attente car il n'avait pas
détecté d'urgence vitale, j'ai pris sur moi (en tant qu'étudiante) de réaliser un électrocardiogramme,
ce qui a permis de diagnostiquer un infarctus et de le soigner. L'histoire de Naomi Musenga fût plus
tragique. Cette jeune mère, décédée après un appel au samu pour des douleurs abdominales et une
angoisse de mort, la réponse de l'opératrice du samu avait été « on va tous mourir un jour ».
On peut se demander si l'attitude médicale dans les deux cas n'est pas en lien avec un stéréotype
comme « les femmes sont trop sensibles »ou « les femmes sont hystériques » ? Tandis que la
différence de traitement pour ces deux patientes, tient selon moi à la manière dont m'ont été
enseigné les signes de l'infarctus…
Dans cet écrit, je tenterai de définir le concept de stéréotype, et je postulerai que les stéréotypes
peuvent être étudiés par la sociologie comme des faits sociaux et enfin, nous tenterons de découvrir
en quoi la sociologie, grâce à sa méthodologie, peut lutter contre les discriminations en matière de
santé.
Le terme stéréotype désignait une technique d'impression rapide et à grande échelle. Puis, détourné
par Lippmann dans les années 1920, a pris une connotation négative car renvoyant à des généralités
simplistes sur des catégories de personnes.
En psychologie sociale, les stéréotypes sont la dimension cognitive des attitudes, c'est à dire qu'elles
représentent une forme de savoir orientant l'attitude, les deux autres dimensions étant les préjugés,
dimension émotionnelle, et des discriminations, dimension comportementale et conative. Les
stéréotypes sont des croyances que nous partageons au sein de notre groupe social sur un ou
plusieurs exo-groupes sociaux. Ces stéréotypes, participent de l'attitude que nous avons envers des
objets sociaux et impliquent donc des comportements discriminatoires envers ces exo-groupes. On
pourrait donc dire que les stéréotypes sont la justification des discriminations et des préjugés.
Il est important, je pense de rappeler que le terme discriminer est synonyme de séparer. Alors, que
sépare-t-on lorsque il est question de discrimination ? On sépare les hommes des femmes, on sépare
les blancs des personnes de couleur, on sépare les soignants des patients, on sépare son propre
groupe de l'autre groupe, il s'agit de trier, pour pouvoir se repérer dans le monde social, comme on
trie les couverts dans le tiroir de la cuisine, par apprentissage et simplification.
En triant, on montre une opposition que l'on peut justifier par nos préjugés, par des stéréotypes ou
bien que l'on peut justifier par la théorie de l'identité sociale et le paradigme des groupes minimaux
(Tajfel et Turner, 1979, 1986). Selon ce paradigme, il y a endo-favoritisme dès lors qu'il y a au
moins deux groupes, c'est à dire que l'on va attribuer à son propre groupe des qualités dont l'autre
groupe ne dispose pas. Tajfel et Turner nous disent donc que la discrimination ne peut se faire qu'en
faveur de son propre groupe.
Selon Festinger, la théorie de la dissonance cognitive (1957) explique comment nous serions
amenés à trouver « après coup » une justification à nos comportements (qui seraient plutôt orientés
par un contexte). Festinger nous invite a repenser la dynamique entre stéréotype et discrimination
en nous montrant que le lien n'est pas de causalité mais d'interrelation.
Selon Doraï (1988), en sociologie, il existe 2 courants de pensées, le 1er dit que« Les stéréotypes
sont définis comme des processus déficients de la pensée » par des apprentissages sociaux et
vicariants incorrects déduits et généralisés au contact de médias, par « sur-généralisation » (sans
possibilité de vérification) d'un trait commun à quelques membres d'un groupe social , par
anticipation imaginaire d'un scénario par l'endo-groupe sur l'exo-groupe, par la rigidité individuelle
de la pensée.
Le 2ème courant de pensée est contraire au premier et dit que « les stéréotypes ne sont pas des
processus déficients de la pensée », ils sont plutôt une forme de catégorisation orienté par un besoin
de justification sociale, de hiérarchisation, ils sont une forme de généralisation non vérifiée, ils sont
des inférences crées à partir de modèle de représentations cognitives individuelles.
Nous pouvons constater qu'il existe beaucoup de tentatives de justification de l'existence des
stéréotypes et que certaines de ces justifications impliquent un rôle majeur individuel, alors que
d'autres impliquent un rôle sociétal du fait que les stéréotypes sont partagés par des individus au
sein d'un groupe social et du fait qu'ils impliquent des discriminations à l'égard de groupes sociaux.
La sociologie a pour objet le groupe social, elle étudie les groupes, l'organisation, les forces,
les normes qui régissent ces organisations, qu'elles soient formelles ou informelles, elle étudie les
faits sociaux comme des lois (non conscientes) qui régissent les structures des groupes. Émile
Durkheim parle de coercition des faits sociaux sur les individus dans un besoin fondamental
d'appartenance à un groupe social, par l'intégration sociale, l'individu à la fois subi le pouvoir du
groupe et rompt l'isolement moral (Bobbé, 2015). Selon Foucault, « le pouvoir est partout, ce n'est
pas qu'il englobe tout, c'est qu'il vient de partout ». L'individu est donc pris dans un champ de force
dès lors qu'il appartient à un groupe, Foucault parle de contrôle social qui produit des pratiques
sociales et s'interroge sur le rôle des savoirs dans cette dynamique (Bobbé, 2015). Pierre Bourdieu
(Bobbé, 2015) parle également de pouvoir sous l'angle des classes sociales dominante (et
dominées), selon lui, « les membres d'une classe sociale sont ceux qui maîtrisent le mieux les règles
du jeu social », il évoque différents types de capitaux : économique, social, culturel, linguistique,
symbolique. La perpétuation de l'ordre établi permet la conservation du pouvoir alors que des
tentatives de renversement des normes dominantes peuvent apparaître. Bourdieu invente le concept
d'habitus comme une composante individuelle structurelle de perpétuation de la place occupée dans
l'espace social, autrement dit une sorte de structure d'autodétermination sociale créée par la
socialisation.
Selon Marcel Mauss (Bobbé, 2015), l'identité d'un groupe se forme en opposition aux autres groupe
sur la base de caractéristiques que l'on peut pointer comme différentes.
Max Weber nous parle d'idéal-type, sorte de listing de caractéristiques communes à un sujet, qui
permet la comparaison et la construction d'hypothèse, cela semblerait potentiellement à rapprocher
de la notion de stéréotype, comme outil d'une démarche scientifique. La différence majeure me
semble-t-il est la notion de certitude/rigidité dans le modèle stéréotypique alors que dans le modèle
idéal-type, il est admis que la notion « idéal » se rapporte à l'idée abstraite, donc non concrète, donc
irréelle.
Enfin, selon Auguste Comte (Bobbé, 2015), « les croyances communes sont sensées assurer la
stabilité et la continuité sociale ».
Je ne me permettrai pas de me prononcer sur la question initiale, je ne peux qu'évoquer en
quoi je pense que les stéréotypes seraient susceptibles d'être des faits sociaux : selon moi et sur la
base des théories précédemment évoquées, les stéréotypes semblent recouvrir une forme de pouvoir
coercitif de par l'expression groupale de leurs contenus spécifiques sur des exo-groupes, ils
semblent pouvoir appartenir à une dynamique instaurée par les groupes, sur les groupes, il semblent
avoir pour conséquences une conservation de l'ordre établi, ils semblent être des savoirs impliquant
un contrôle social, ils semblent participer de la hiérarchie sociale.
L'infarctus idéal-type, tel qu'il est décrit dans les manuel des médecins, parle de douleur
thoracique, alors qu'il est spécifié que les femmes ont des symptômes dit « atypiques » angoisse,
douleurs, et symptômes digestifs. On voit comment le « masculin » est pris en référence et le
féminin devient alors atypique. Serge Moscovisci (Bobbé, 2015)se demande pourquoi les
représentations sociales se perpétuent, je postule que le stéréotype de l'hystérie féminine est une
croyance qui semble venir remplacer des connaissances manquantes aux personnels de santé alors
que le tableau clinique ne leur semble pas caractéristique d'une urgence, au moins dans les deux cas
qui nous concernent. En difficulté dans leur position professionnelle par une incapacité à donner
une réponse adaptée à la situation, de part un manque d'information liée au genre, l'usage du
stéréotype comme processus déficients de la pensée par des apprentissages sociaux et vicariants
incorrects a permis à ces soignants, au moins dans un premier temps, de conserver l'illusion du
savoir comme capital culturel.
Selon Malinowski (Bobbé, 2015), les institutions sont des réponses collectives organisées
permettant de répondre à des besoins, dans ce cas de figure, l'institution n'a pas pu répondre aux
besoins de Mme Musenga.
L’intérêt de regarder ces deux exemples de manière sociologique est d'observer le fonctionnement
des services médicaux, de mettre en lumière comment deux erreurs médicales, non liées en
apparence, pourraient avoir des mécanismes et des enjeux similaires. Mis en lumière, ces
stéréotypes perdent de leur crédibilité et laissent place à un savoir qui non seulement augmente le
capital culturel et redonne légitimité à la position sociale des acteurs du soin car il leur permet
d’être des praticiens plus compétents, avec des améliorations dans les prise en charges des patients.
La démarche sociologique est utile pour l'amélioration du système santé, les analyses des
pratiques ne sont pas ou peu organisées car elles remettent en question les organisations alors qu'il
semble plus accessible mais aussi bien plus illusoire de pointer les responsabilités individuelles.


Bibliographie :
Bobbé S., (2015) Cours de sociologie générale. IED.
Doraï MK., (1988) Qu'est ce qu'un stéréotype. Persée.
Festinger L., (1962). A theory of cognitive dissonance. Standford University Press.
Retrieved from https://www-cairn-info.accesdistant.bu.univ-paris8.fr/les-30-grandes-notions-depsychologiesociale--
9782100801275-page-231.htm
Retrieved from https://www.institutmontaigne.org/expressions/inegalites-de-sante-entre-femmes-ethommes-
comment-prendre-en-compte-les-determinants-socio
Retrieved from https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-fantomes-de-l-hysteriehistoire-
d-une-parole-confisquee

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